La grande soeur, heureuse avec son petit frère, une autre grande soeur, heureuse sans son petit frère, le petit frère qui aime sa grande soeur, et les copines,
le trio du parc, un dernier vendredi de vacances, ensoleillé en plus...
Les chaussettes d'A. et la nuque de Y. |
Mais dehors le jour déclinait, et tandis que j'avalais cette première bouchée, et que la première impression s'évanouissait, j'ai senti un changement subtil s'opérer à l'intérieur, une réaction inattendue. Comme si une papille enfouie tout au fond de moi sortait son périscope pour jeter un coup d'oeil alentour, alertant ma bouche de l'apparition d'un élément nouveau. La qualité des ingrédients - le bon chocolat, les citrons bien frais - semblait cacher quelque chose de plus important et de plus sombre, et cet arrière-goût commençait à remonter à la surface. Je sentais sans difficulté le chocolat, mais par glissements légers, comme un effet secondaire qui se déroulait, se déployait, j'avais le sentiment que ma bouche se remplissait aussi d'un goût de petitesse, d'une sensation de rapetissement, de contrariété, d'une distance dont je devinais qu'ils étaient liés à ma mère, le goût de sa pensée fourmillante, une spirale, quasiment comme si j'étais capable de sentir le grincement de sa mâchoire ayant provoqué cette migraine qui l'avait poussée à prendre autant d'aspirines que nécessaire, alignées en points blancs sur la table de nuit, une sorte d'ellipse à son commentaire : je vais juste m'allonger un petit moment...Tout cela n'avait pas trop mauvais goût, mais chacune de ces saveurs paraissait incomplète et creuse, comme si le citron et le chocolat ne faisaient qu'envelopper un vide. (La singulière tristesse du gâteau au citron, Aimée Bender)C'est à la suite de la lecture de ce livre que j'ai décidé d'arrêter mes expériences culinaires, enfin, pas arrêter, pas complètement, mais plutôt suspendre pour un temps mes expériences.